mercredi 11 novembre 2009

Funambule

Ces apparats guerriers, ces apparats de puissance; Et la Marseillaise aux paroles trampées d'un encre rouge. Une manière un peu drôle de célébrer une réconciliation. Soldats, marchez, comme pour aller au front, mais soyez gentils, pas tro il faut montrer que vous êtes forts.

Lorsqu'Anthoine expliquait qu'il trouvait antagoniste de célébrer la paix en armes et en paroles meurtrières, on lui répondait que c'était la tradition.
Anthoine avait entendu dire que le discours du président était écrit par un autre. Un peu comme lire une poésie à laquelle on ne comprend pas tout. Il se rappelait alors de ses années d'école, se revoyait réciter La Fontaine et penser en même temps à autre chose alors que les mots coulaient mécaniquement. A quoi pensait le président, tandis qu'il disait avec solennité? L'écran devînt noir et Anthoine se leva pour sortir un peu. Sur le palier du cinquième étage, il croisa deux de ses voisins qui exaltés, parlaient justement de la retransmission en cours. L'un d'eux l'interpela, le prenant au dépourvu: "Tu as vu ces chars et ce défilé! Si c'est pas magnifique, hun? Et la Marseillaise, n'as-tu pas invariablement envie de l'entonner lorsqu'elle commence? Toi aussi tu la sens, cette fierté dans ton ventre, non?" Bégayant quelques mots, il descendit en hate.

Arrivé au bas de son immeuble, il distingua quelques jeunes armés de bombes à peinturlurer les murs et s'approcha pour mieux voir ce qui naissait de leurs gestes nerveux. Soudain, apparaissant en trombe dans un crissement de pneus, trois agents de la force publique s'emparèrent des malfaiteurs plus sombres que leur peinture rouge. "Vous avez vos papiers?" demandèrent-ils avant de les embarquer moins un, qui avait réussi à disparaître au bon moment. "Nique la police, nique la France." avait finalement écrit le rescapé. Anthoine trouva cela moins beau que la fresque inachevée qui n'avait rien de vindicative et se demanda si elle serait un jour reprise. Derrière lui, une petite grand-mère lui dit que c'était bien fait pour eux, "ces Arabes et ces noirs, ils sacagent tout." Il voulut expliquer que l'origine et la nuisance n'étaient pas liées. Ce à quoi la vieille dame répondit qu'elle ne voyait pas de Français commettre de tels forfaits. Après réflexion, Anthoine demanda ce qu'elle appelait Français. Ici, il n'y en a presque pas, dit-elle, sans comprendre qu'elle venait de rendre caduque son assertion précédente. Anthoine ne le perçu que vaguement et ne parvînt pas à lui expliquer.
En repartant, il pensa que le regret ne servait à rien et qu'il était toujours temps de combler ses lacunes en Histoire, cette matière qu'il avait tant boudé à l'école. D'un pas résolu, il décida de se rendre à la bibliothèque. Et pas n'importe laquelle. A la Bibliothèque Nationale de France. Jetant un regard sur la droite, il aperçut dans un hall, un groupe qui semblait compter des billets. Il se rappela alor des commèrages de voisinage sur le trafic de la drogue, proche de chez eux. Il se demanda si la police les avait ratés tout à l'heure, et en conclu que oui. Peut-être qu'il ne devrait pas trop s'attarder. L'un d'eux, au teint justemeent pâle, le regardait bizarrement.

Marchant plus vite, il repensa aux soldats, à la Marseillaise, aux armes, aux citoyens. Et tout ceux laissés à côté. Comme celui-là, allongé sur un manteau crasseux au milieu du quai, n'attendant plus aucun train depuis longtemps. Au visage buriné par le temps, le froid, la boisson, la patrie qui broie. Il toussa; une grimace de douleur se peignit sur son visage, qu'Anthoine ressenti au travers du râle. Le train arrivva. Et la bibliothèque, fermée... Alors, rentrant chez lui, prenant garde de ne pas s'attarder devant le hall, de faire un écart à proximité de la vieille dame et de marcher sans s'arrêter devant ses voisins patriotiqes, il eût l'impression d'être un funambule maladroit. A peine allumée, la télévision hurla "marchons, marchons" et le fil trembla. Impression de vertige, estomac mécontent. Oui, il ressentait quelque chose dans son ventre. Une certaine nausée, qui l'attristait. Lui aussi, aurait voulu être fier.

1 commentaire:

Idris a dit…

Prose... je n'écrirais pas aussi bien que toi, mais tes mots sont poignants, bien assortis et bien imbriqué^^

J'aime beaucoup