samedi 8 mai 2010

Le Défi. 2/4

Lire Le Défi 1/4

Dans la salle à manger au style chêne massif et atmosphère rustique, un homme en uniforme est allongé au sol. Donnant sur le jardin, deux grandes fenêtres font pleuvoir un soleil insolent sur son corps livide. Jasmine revient avec un verre de limonade dans lequel teintent les glaçons. Se levant, il vient le récupérer sur le seuil et en boit la moitié. Une ombre furtive barre la lumière de la fenêtre et son téléphone se met à vibrer. Il répond d'une voix enjouée.

-J'écoute ?
-Laurent Diablo.
-C'est le bon numéro ! Ils vous aura fallu tout de même une heure.
-Le périmètre autour de la maison est clot. Nous allons rentrer, ne cherchez pas à sortir.
-Ne cherchez pas à rentrer, je ne chercherais pas à sortir, pour l'instant.
-Qu'est-ce que vous cherchez à prouver, en fait ? Allez, ne...
-Vous me posez une question. Et vous n'avez pas la correction d'attendre la réponse. Ecoutez-moi. Je déteste les choses mal faite, je déteste bâcler le boulot. Le brigadier Roulot qui se tient actuellement face à moi est un excellent adversaire. Un homme qui aime les choses propres. Tout comme moi.
-Venez-en au fait.
-Lorsque nous aurons fini notre partie, nous sortirons. Sa tour est en mauvaise position, son cavalier me rend mal à l'aise. Le match est serré. Très intéressant, aussi.
-C'est une blague ?
-Idiots, idiots que vous êtes. Vous avez je ne sais combien de types planqués et qui ont toute vue sur la fenêtre. Le plateau est en évidence sur la table.
-Rendez-vous tout de suite. Nous allons rentrer.
-Sûrement pas putain de merde !!! Est-ce que tu m'écoutes quand je te parle ? C'est du sang que tu veux sur ce parquet ? Il avance un pion.
-Que demandez-vous ?
-Je demande qu'on nous foute la paix jusqu'à la fin de la partie. Selon le gagnant, je me rendrais. Une cha. Déplacement latéral de la tour du brigadier...
Une chance sur deux que ça se passe bien. Ca vaut le coup d'attendre une vingtaine de minutes, non ?
-Et si vous gagnez ?
-Nous négocierons le moment venu. Rappelez à la fin du match. Il raccroche et adopte une courbe de huit cases avec son fou. Le cavalier blanc tombe.
-Finement joué, Diablo. Le brigadier se marre.
-Pour un policier, je vous trouve bien habile aux échecs.
-Je ne sais comment le prendre. Il sort son arme qu'il pointe vers le coeur du preneur d'otage. Il se marre et la range.
-Vous êtes distrait, Roulot. Un pion blanc chute.
-Vous êtes malin, Diablo. Mais votre fou est fait. Et pouk. Il met une pichenette dans la pièce et pose sa tour à la place.
-Vous m'avez distrait. Finement comploté. Il finit son verre. Sur le canapé, des larmes silencieuses coulent des yeux de la femme.
Ne me regardez pas si durement, Jasmine. Merci pour l'échiquier, d'ailleurs. Et la limonade. Il lui sourit.
Je manque vraiment de correction, parfois.
-Vous n'êtes qu'un sale, une pourriture de tueur, une crevu... Le brigadier se levant lourdement, s'approche d'elle.
-Veux-tu une balle dans la tête, petite... Est-ce que tu veux m'énerver plus que.
-Roulot ! Arrêtez voir un peu. C'est rien que du mot. Elle est un peu fâchée, mais ça va passer. Reprenons la partie.
-Cette grosse tru...
-Ca va !!! On arrête le bordel, revenez finir cette foutue partie. Comme à regret, le policier s'asseoit de nouveau.
-Et qu'est-ce qu'on fait, après ?
-Après, c'est après. Préoccupez-vous de votre reine. Ah, non. Trop tard. Il la retire du plateau. Le brigadier la remet.
A quoi vous jouez...
-Mon pion. Il est arrivé au bout. Le sourire de l'agent reparaît. Un peu crispé puis s'élargissant.
-Merde. Vous avez cette capacité de détourner mon attention. Bon, bon. J'aime mieux ça qu'un mauvais perdant qui remet illégalement sa pièce.
-L'illégal, vous savez. Je suis policier, je le combat. Il sourit davantage. A la longue, ce sourire devenait quelque chose de suspect, comme une fissure derrière laquelle se cachait toute l'instabilité d'un terrain glissant.
-Echec, brigadier. L'agent blêmi, tourne la tête de droite à gauche et se concentre de nouveau sur le plateau.
-Expliquez-moi ça. Je ne vois rien qui me contraigne à bouger le roi. Il pose son arme sur le bois de la table.
-Appréciez s'il vous plaît, la position de mon fou. Un frère vengeur pour celui qui est tombé... Il part d'un petit rire. Le rictus du policier s'agrandi tandis que de l'index il caresse le canon de l'arme.
-C'est une situation bien laide. Je crois que je suis fais, car... Il décale le roi.
-Vous êtes fait. Ou presque. Echec, Roulot. Vous pensez qu'ils le savent aussi, dehors, avec leurs jumelles ? ... Et il s'écroule au sol, les dents s'entrechoquant. Il n'est pas inconscient, mais c'est pas loin d'arriver. Il se redresse sur un coude et aperçoit un rouleau à pâtisserie dans les mains de Jasmine.
-Venez m'aider, il va se relever, lance-t-elle paniquée à l'agent.
-Qu'est-ce que... Qu'est-ce que tu viens de faire sale truie !!! Se levant maladroitement en se saisissant de son pistolet, il tire. La balle venant se ficher au-dessus de son épaule dans le mur, elle comprend avec effroi que la comédie est finie, qu'il n'y a jamais eu de comédie. Il vacille et retombe assit. La fenêtre explose et deux hommes entrent soudain dans la pièce, manquant de marcher sur le cadavre du policier. Roulot vise et tire par trois fois, blessant un des deux commando. Le plateau d'échec s'envole, répandant des pièces tout autour des deux nouveaux assaillants. L'un des deux essaie de comprimer son bras droits pour juguler l'hémorragie naissante. Deux nouveaux hommes apparaissent à la suite du premier groupe et visent précisément le tireur. Désormais allongé derrière un fauteuil, les détonations s'échappent toujours de son arme. Une pluie de cristal brille un instant après qu'un feu ait atteint un vase, couvrant presque le bruit d'un moteur poussé à plein régime. Cette fois, trois hommes font irruptions par la porte de la maison puis dans la salle à manger. L'un d'eux attrape Jasmine et l'écarte dans une pièce attenante. Roulot s'écroule, prit à revers. Chacun se regarde dans le silence brutal, dans l'immobile. Le cadavre du premier flic est couvert d'épines, étincelantes dans la lumière du jour.
-Il était déjà mort quand on est arrivés...
-Je pisse le sang ce connard m'a tiré dessus. Il s'en va, suivi d'un autre l'escortant.
-C'est quoi, ce délire; on se fait canarder par les flics maintenant ?
-Où est l'autre ?
-.. L'aut... Putain. Il prend son talkie-walkie.
Demande renfort pour fouiller la maison. Suspect égaré.
-Négatif, il a foutu le camp avec l'une de vos voitures, répond l'appareil d'une voix rageuse.

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